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To build tiny monuments is to gather what’s there de Lauren Prousky est une exposition montée dans l’isolement et – bien qu’elle n’ait jamais été vue – elle est maintenant présentée sous forme numérique par le Musée du Montréal juif de mars à mai 2021.

Étant donné qu’il était impossible d’exposer au sens traditionnel en raison des restrictions liées à la pandémie, To build tiny monuments a été installé en janvier 2021 par Lauren Prousky dans sa maison de Kitchener-Waterloo, et fut photographié par Karice Mitchell. Le Musée du Montréal juif présente non seulement le nouvel ensemble d’œuvres de Lauren par le biais de ces images, mais également une archive visuelle sous forme d’exposition numérique active. De nouvelles œuvres seront présentées le mercredi de chaque semaine, du 10 mars au 5 mai 2021, dans le cadre de l’exposition Instagram à @mjm_laurenprousky.

Voici la deuxième collaboration dans le cadre du cycle d’expositions d’art contemporain 2020-2021 du Musée intitulé Permanence, un cadre thématique pour nos artistes sélectionnés qui a pris plus de nuances, de connotations et de proximité au cours des derniers mois. Ce cycle, dont le thème est adapté à un monde à distanciation sociale, invite les artistes à s’interroger et à examiner les nombreuses permutations du concept “d’éternité”. Par le biais d’une série d’innovations et d’événements artistiques, nous invitons le public à réfléchir à la notion de permanence en ce moment de flux, que ce soit à travers les objets ou les événements éphémères de ces périodes d’instabilité, la façon dont nous créons des espaces durables pour nos communautés, les présences invisibles, mais constantes, qui nous façonnent, ou la mutabilité tranquille et déterminée de tout ce qui semble éternel.


Vous trouverez sur cette page :

et les textes suivants par Lauren Prousky sur To build tiny monuments is to gather what’s there, et des thèmes associés :

  1. Texte pour « Everything that ever existed »
  2. « Points of contact and other piles »
  3. « In Charm’s Way »

Pour voir l’exposition, veuillez consulter visiter @mjm_laurenprousky

Pour d’autres travaux visuels et écrits de Lauren, veuillez consulter son site Web laurenprousky.com

Revenez bientôt pour consulter la liste des lectures de l’exposition.

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Crédits d’images: To build tiny monuments is to gather what’s there
par Lauren Prousky
Photographie par Karice Mitchell

Une introduction « tiny monuments »

Chargés de couleurs et de textures, les amas, les structures, les collections et les curiosités qui constituent l’ensemble de l’œuvre de Lauren To build tiny monuments is to gather what’s there sont une invitation à la fois frénétique et méditative à considérer les choses que nous accumulons, ainsi que la signification qui s’accumule autour de ces choses.

À l’écart du minimalisme et de sa tendance récurrente dans les milieux des beaux-arts, du design et du développement personnel, To build tiny monuments is to gather what’s there est une œuvre qui combine une variété de médias et d’objets trouvés qui, en étant entassés ensemble, explorent une tendance que Lauren identifie comme une “impulsion juive de collecte » post-Holocauste. À une époque où, pour certains, moins c’est plus, l’œuvre de Lauren opte pour une esthétique maximaliste, évoquant le désordre des sentiments partagés par les communautés dont l’histoire est criblée de pertes et d’insécurité.

Que vous soyez attiré par la surcharge sensorielle du cabinet de curiosités ou que vous préfériez les bords nets et durs du minimalisme, les œuvres de Lauren ont une qualité indéniable. Il existe dans chaque œuvre une agitation, dans laquelle le fouillis de matériaux laisse entrevoir des souvenirs entremêlés, la douceur de la sécurité, et des récits cachés tout juste sous la couche suivante…

Dans notre contexte actuel, « Construire de petits monuments » prend un sens nouveau. Comme beaucoup d’entre nous passent beaucoup plus de temps à la maison parmi les objets que nous avons choisis ou qui nous entourent, nous sommes invités à remarquer, peut-être pour la première fois, ce qu’ils contiennent secrètement sur notre identité et nos origines.”

— Alyssa Stokvis-Hauer, co-commissaire et directrice artistique

 

À gacuhe:  Détail de Past peels cover what i can’t/
the sum of all spills (a heavy portal remix)
, 2018-2021.

Au centre:  Détail de The inherent cost of line that hugs, 2020

À droite:  Détail de Maudlin breach, 2020.
Photographie par Karice Mitchell.

Démarche artistique

Quand j’étais plus jeune, on se moquait souvent, ma famille et moi, du fait qu’il était commun d’ouvrir une armoire et de tomber sur les réserves de maman. Celles-ci débordaient de choses comme des mouchoirs, des fèves ou du dentifrice pour lesquels il n’y avait plus d’espace dans la cuisine ou la salle de bains. On appelait ça sinistrement son syndrome de l’Holocauste, insinuant qu’elle avait hérité de ce besoin de faire des réserves de sa mère qui avait été une enfant cachée. Cet ensemble d’œuvres se situe à l’intersection entre le fait de tomber sur 10 conserves de tomates broyées dans la salle de bains en cherchant du papier de toilette et le besoin de chérir ainsi que de prendre soin des choses et des gens qui ont été éloignés par le passé.

En utilisant des objets trouvés et en créant des œuvres qui illustrent l’accumulation matérielle, je m’interroge sur la manière dont la pulsion qu’ont les Juifs à amasser des choses inspire une méthode narrative propre à cette culture. Chaque pièce est façonnée par le chaos organisé des collections, l’esthétique des récits tangentiels, la fébrilité ainsi que la superposition dans le but d’exprimer ma propre relation avec les différentes facettes du judaïsme culturel.

— Lauren Prousky

Détail de Everything that ever existed, 2020
Photography by Karice Mitchell

Quand j’ai parlé de l’idée qui a éventuellement mené à cette exposition pour la première fois à mon père, je lui ai dit quelque chose comme : « Je pense qu’il n’y a jamais eu d’artistes minimalistes juifs ». Il m’a répondu : « Bien sûr qu’il y en a eu! » et il s’est mis à dessiner cette bande dessinée (photo ci-dessus) sur un papier brouillon. Il l’a signée Artie Zuckerman, un nom à consonance juive qu’il a inventé de toutes pièces et qui, à ce que je sache, n’est pas une vraie personne ou un vrai artiste. « Voilà! », m’a-t-il dit, « C’est une réplique d’un célèbre Zuckerman ». Sa blague prouvait en quelque sorte que j’avais raison. J’ai choisi d’utiliser une copie de sa bande dessinée en tant que point de départ pour cette installation.

Everything that ever existed, 2020
Photographie par Karice Mitchell

Points of contact and other piles

Points of contact (mandibles, tarsal claws and adhesive pads and hair), 2020
Photographie par Karice Mitchell

Ce titre s’inspire de la manière qu’ont les fourmis de former des surfaces vivantes sur l’eau ou dans les airs afin de se rendre du point A au point B. En utilisant leurs mandibules, leurs griffes et leurs coussinets adhésifs, elles créent autant de points de contact que possible les unes avec les autres. Le tout permet à l’ensemble du groupe de flotter et de se déplacer vers l’avant. La pièce Hair n’a rien à voir avec les fourmis. Il m’apparaissait simplement nécessaire de souligner le fait que les slinkys ressemblent aux cheveux épais et frisés que l’on associe de manière stéréotypée aux Juifs. Je souhaitais évoquer le fait que l’accumulation matérielle, c’est-à-dire la création de points de contact avec des histoires à la fois vivantes et inanimées, nous garde en quelque sorte à flot et en mouvement.

 

Les slinkys dans Points of contact sont l’un des nombreux amoncellements que l’on retrouve dans cet ensemble. Je m’intéresse à la manière dont ces formes et ces matériaux protecteurs, bien qu’ils symbolisent évidemment les coquilles et les barrières d’un groupe minoritaire, ne constituent qu’une strate parmi plusieurs dans cet assemblage. L’amoncellement n’est pas seulement une barrière protectrice. De par sa forme, il évoque aussi le confort et la familiarité : les éléments éparpillés ne s’assemblent pas forcément comme des blocs lego, mais ils sont néanmoins parfaitement nichés. Le sentiment de sécurité ne provient donc pas du fait de s’enfermer dans une coquille rigide. Il découle plutôt de la carapace collective qui laisse place au mouvement et au soutien. À travers la superposition et l’accumulation, chaque strate est illuminée et réinventée par ce qui se trouve au-dessus et en dessous.

À gauche:  Maudlin breach, triptych, 2020.

Au centre:  Vue d’expo avec Maudlin breach, 2020 et Points of contact
(mandibles, tarsal claws and adhesive pads and hair)
, 2020.

À droite:  Maudlin breach, 2020.
Photographie par Karice Mitchell.

In Charm’s Way

Je réfléchis beaucoup à ce que j’appelle « la pulsion juive à amasser » dont il est question dans le texte sur ma démarche artistique. Ce à quoi je fais référence, généralement parlant, est le manque d’intérêt envers l’art minimaliste que j’ai remarqué dans de nombreuses œuvres créées par des artistes juifs depuis l’Holocauste. Je constate que la plupart des œuvres que j’ai vues, lues ou entendues qui ont été produites par des Juifs, plus particulièrement des femmes et des personnes non-binaires ou queer, aux 20e et 21e siècles sont caractérisées par le chaos organisé des collections, les récits sinueux et un sentiment général de fébrilité. Cette énergie n’est nulle part mieux canalisée que dans le bracelet à breloques.

À gauche:  The phonetic awkwardness of talisman
means that I too am safe in sound
, 2020.

Au centre:  détail de Maudlin breach, 2020.

À droite:  détail de Everything that ever existed, 2020.
Photographie par Karice Mitchell.

Lorsque j’ai vu le bracelet à breloques de Greta Perlman au Jewish Museum de New York, j’ai immédiatement été captivée par sa délicatesse, sa féminité excentrique et sa surprenante quiétude (la vue d’un bracelet à breloques s’accompagne généralement d’un tintement caractéristique). On en sait très peu sur la façon dont elle a acquis les breloques durant son internement à Theresienstadt. Les prisonniers arrivaient parfois à fabriquer de petites œuvres d’art et à les dissimuler dans les murs. Il est donc probable que Great ait échangé de la nourriture contre quelques-unes des pièces lorsqu’elle travaillait à la cuisine du camp. Quant à lui, le bracelet a vraisemblablement été assemblé après la guerre lorsque Greta a immigré aux États-Unis [1].

*

Dans la rétrospective The Collections of Barbara Bloom, l’historienne de l’art Susan Tallman explique que Bloom interprète le bracelet à breloques en tant que monument autobiographique. Même si ces bracelets passent souvent inaperçus, Tallman affirme que, lorsque notre regard se porte sur eux, ils nous incitent à les observer plus attentivement afin de saisir ce qu’ils signifient. Inversement, les grands monuments n’attirent que de brefs coups d’œil. Il faut les observer dans leur entièreté assez rapidement de peur de se faire mal au cou. Tallman décrit également la fascination de Bloom pour le bracelet à breloques bien chargé d’une amie : « les [breloques] ne sont pas les mots d’une phrase, mais des objets du monde réel tombés dans un trou sans fond et rassemblés par une machination de la chance et du design » [2].”

De même, le bracelet à breloques de Greta est un mélange d’objets et d’images offrant un aperçu inédit de sa vie au camp de travail. Serrées et pendant les unes sur les autres, les breloques ainsi assemblées rompent l’écart entre la brutalité qu’elle a vécue et les banalités de son quotidien. On y trouve une casserole et une louche puisqu’elle travaillait à la cuisine, mais aussi une balle et un peigne à poux pour symboliser les horreurs routinières de la vie au camp. Plusieurs breloques laissent croire à une intrigue amoureuse. Une toilette dotée d’un minuscule couvercle articulé est également coincée entre le peigne et un chameau. Le site Web du musée mentionne que cette toilette est une blague subtile au sujet des indignités auxquelles les prisonniers faisaient face. Or, il est possible que Greta ait simplement voulu évoquer que la vie au temps de l’Holocauste était de la pure merde.

Qu’est-ce que cela a à voir avec la pulsion juive à amasser? D’abord, les breloques sont un type de collection. Dans son livre Alien Phenomenology or What It’s Like to be a Thing, Ian Bogost s’intéresse à la valeur d’une liste, ou d’un ensemble d’éléments d’apparence superficielle (comme un bracelet à breloques), dans la littérature et, par extension, dans la société en général. Il écrit : « Tel un bestiaire médiéval, [l’étude de la manière dont nous expérimentons le monde physique] peut prendre la forme d’un compendium, d’un recueil d’éléments juxtaposés afin de démontrer qu’ils s’imbriquent et interagissent à travers la collocation. La plus simple expression de ce principe est la liste : un ensemble d’items reliés non pas par la logique, la force ou l’usage, mais délicatement noués par la virgule. [L’étude de la manière dont nous expérimentons le monde physique] est une théorie esthétique définie au sein de laquelle une configuration particulière est célébrée de par son unique existence. » [3]

Monument to a possible outcome (after BB and Greta,) 2020
Photographie par Karice Mitchell

Dans le cas de Greta, le regroupement composite d’objets et d’images attachés à un cordon devient une expression profonde du courage et de l’ingéniosité d’une femme qui cherchait à conserver une part de contrôle sur sa vie dans un contexte où elle était soumise à un système oppressant et dangereux. Autrement dit, le fait de diviser son vécu en petits symboles permet de l’appréhender de manière plus approfondie.

En second lieu, les bracelets à breloques, tout comme les collections, parviennent à raconter des récits concis, et pourtant dispersés. Les items d’une collection sont tautologiquement liés à son thème. Par contre, ils demeurent des entités distinctes dont les histoires et les repères sont extérieurs à la collection à laquelle ils appartiennent. Dans le cas du bracelet, chaque breloque incarne tout et rien à la fois alors que l’ensemble fait office de métonymie représentant une vie entière. Pour citer Bogost à nouveau, l’organisation des « choses de l’être » est « en constant remaniement, se réorientant physiquement et métaphysiquement à mesure qu’elle se heurte à la matière, les relations et les concepts. » [4] Cette description s’applique également au bracelet à breloques où de petites tranches de vie cacophoniques témoignent, même si ce n’est que superficiellement, des événements, des idées ou du parcours de la personne qui le porte.

Troisièmement, le bracelet de Greta montre que son esprit de collectionneuse ainsi que sa motivation à sauvegarder, créer et donner du sens à sa vie n’ont pas péri aux mains des nazis. Malgré les circonstances difficiles, elle a su préserver son humanité en s’attachant à ces petites breloques représentant l’amour, les rituels et même l’humour.

En réalité, les breloques utilisées pour cette exposition n’ont aucune valeur sentimentale au-delà de l’importance métaphorique que je leur ai conférée à travers Greta Pearlman et Barbara Bloom. À l’exception du cordon terni enroulé autour d’un morceau de verre, qui est un bracelet que j’ai depuis l’enfance, les breloques proviennent pour la plupart d’un détaillant en ligne qui les vend en paquet de 100. Malgré tout, je suis invariablement étonnée de constater que ces bidules bon marché arrivent à exprimer toute la puissance des collections, de l’accumulation et, comme le dit Bogost, « du réalisme dans la multitude » [5]. En plongeant dans le monde du bracelet à breloque, c’est-à-dire dans le monde des minuscules monuments, je me sens mieux préparée à faire honneur à ce que je côtoie depuis toujours : les boîtes de thon et de tomates broyées, en dés ou entières, le papier de toilette et la volonté de colmater les brèches. Plus on accumule de breloques, plus on aura l’esprit léger.

À gauche:  Détail de Maudlin breach, 2020.

Au centre:  The phonetic awkwardness of talisman means that I too am safe in sound, 2020.

À droite:  Détail de Maudlin breach, 2020.
Photographie par Karice Mitchell.

 

[1] The Jewish Museum. “Objects Tell Stories: Remembering the Holocaust through Greta Perlman’s Charm Bracelet.” Medium, The Jewish Museum, 12 Apr. 2018, stories.thejewishmuseum.org/objects-tell-stories-remembering-the-holocaust-through-greta-perlmans-charm-bracelet-on-yom-16ba3822f470.

[2] Bloom, Barbara, Dave Hickey and Susan Tallman. The Collections of Barbara Bloom. Steidl, 2007. Pp. 118
[3] Bogost, Ian. Alien Phenomenology, Or, What Its like to Be a Thing. Minneapolis: University of Minnesota Press, 2012, 38.
[4] Ibid. 27
[5] Ibid. 58
Crédits & remerciements de l’exposition

Artiste

Lauren Prousky

Photographie de l’exposition

Karice Mitchell

Conservation

Austin Henderson       Emilie Albert-Toth       Alyssa Stokvis-Hauer

Conception graphique

Austin Henderson

Traduction

Emilie Albert-Toth       Julie Bérubé

Cette exposition a été rendue possible grâce à la Fondation Betty Averbach, et le Conseil des arts de l’Ontario